Ariège Pyrènées - Lettres de poilus Evacuation sanitaire
Evocation de l’Evacuation sanitaire et des combats - 1914 à mai 1915
Les lettres ci dessous sont tirées de «La Semaine Catholique de l’Ariège ». Elles sont traitées par OCR d’où quelques petites imperfections
A partir de 1915 La Semaine Catholique n’a plus publié que des articles purement religieux.
Beaucoup de prêtres étaient infirmiers et brancardiers, mais il y en avaient qui étaient aussi Chefs de Section ou Capitaines.
On voit au travers de ces lettres, je ne les reproduis pas toutes celles que j’ai pu me procurer, que la guerre a beaucoup contribué à réduire le fossé qui séparait les Catholiques des Anticléricaux. Dans la lettre ci dessous l’Abbé Estèbe doit son salut à la Vierge-Marie, mais pour les non croyants il le doit à la Chance. La guerre n’avait pas cependant réconcilié tout le monde. Certains chroniqueurs continuait à taper fortement sur le clergé, mais eux étaient bien à l’abri du coté de Toulouse (pour notre région).
On savourera cette lettre de M. l'Abbé Estèbe, écrite de Lons-le-Saunier, le 17 octobre 1914
Début de citation
« Il est bien vrai que j'ai eu l'honneur et la joie de verser déjà quelques gouttes de sang pour Dieu et pour notre chère France. Le 23 septembre dernier, en effet, aux environs de Toul, j'ai reçu une balle dans l'avant-bras gauche. qui a été percé de part en part, cependant, chose étonnante, le projectile a bien voulu ne toucher ni l'os, ni aucun nerf. « Vous avez de la chance ! » me disent nos médecins : mais pour moi cette chance n'est autre que la main maternelle de Notre-Dame qui a bien voulu protéger son ancien et indigne serviteur.
Oui, Notre-Dame nous a bien protégés jusqu'ici. Nous étions presque continuellement sous le feu de l'ennemi depuis le 14 août et, dans cette promenade à travers les obus et les balles, bien des fois, je vous l'avoue, j'ai cru ma dernière heure arrivée..., mais toujours le soir, heureusement, à l'appel tous mes membres étaient présents !... Et cependant nous avons entendu de bien près quelquefois la terrible chanson des obus. Un jour l'un.d'eux, c'était un des moindres heureusement, tomba près de moi et de mon camarade; nous avions eu le temps de nous aplatir dans un sillon. Nous restâmes là étourdis, assourdis, je ne sais combien de temps, à demi asphyxiés. Je me crus mort; à ma grande surprise, je me levai et marchai... bien vivant, pas même blessé. Et mon camarade aussi. Il va sans dire que nos sacs, qui dépassaient le pli de terrain, furent déchiquetés comme un linge. L'obus avait éclaté à 2 mètres de nous Ah ! De quel cœur je remerciai notre chère Protectrice
Le 23 septembre ce fut la chanson des balles, après celle des obus. Elles venaient sur nous de l'avant et de la gauche. Nous étions dans un chaume, à peine abrités ; « eux », comme toujours invisibles ; car ils ont beau dire. devant les Alliés. ils ne savent que rentrer sous terre... Nous étions comme clans un « essaim » de balles : je sentis une petite commotion électrique: presque rien ; je ne me croyais pas même touché, un petit filet rouge, qui sortait de ma manche, et une petite douleur cuisante m'avertirent bientôt que j'étais touché, moi aussi. Je rentrai dans un petit bois voisin avec un camarade blessé au pied ; je ne sais comment nous l'atteignîmes, tant les balles pleuvaient dru.
Quel spectacle horrible sous ce bois. Des blessés partout et.pour certains, quelles blessures ! Cette vue restera bien longtemps fixée dans mon souvenir, comme une vision d'horreur. J'avisai un pauvre estropié.qui essayait en vain de marcher, je le connaissais. Je le pris (le mon brai valide, et clopin-clopant, l'un soutenant l'autre, nous gagnâmes le village le plus proche, à 800 mètres de là.
Après deux journées de voyage bien longues, nous sommes arrivés ici: j'y trouvai beaucoup de camarades. .Jugez-en. Le matin nous étions allé au feu la compagnie entière, le soir de ces 250 hommes sept ou huit sont restés debout. Je dois ajouter qu'il y a eu peu de morts.
J'ai peu souffert de ma blessure. Les plaies se sont refermées peu à peu. Dans quelques jours je compte regagner notre dépôt a Narbonne... et puis... aller faire expier aux Boches l'insulte qu'ils ont faite à mon bras...»
La relève avait le moral
Et ce bleu de Villeune-d'Olmes ? (Il faudrait citer toutes les lettres des jeunes de ce petit coin-là.) Lisez-moi ces trois phrases et dites si ça ne sonne pas bien.
« Ici les minutes sont précieuses. Dans deux mois nous sommes mobilisables. Et je vous assure que si la guerre n'est pas finie on peut compter sur moi. J'ai double force, car je suis catholique et français. Les Allemands peuvent venir !"
Le 29 octobre 1914 le vicaire de Saint Girons l’abbé Sentenac avait envoyé une première lettre
En voici une autre du 6 mai 1915
« Un simple mot pour vous annoncer mon changement de résidence.
Rien de stable dans ce monde. Demain nous quittons la Prusse pour-la Saxe. C'est un petit voyage d'agrément que l'on nous paye sur la frontière de la Bohème. Cela parait devoir être très intéressant. Il part d'ici un détachement qui, dit-on, va se fixer à Zwichaù, résidence d'été. Je l'accompagne, toujours en qualité d'aumônier, avec un de mes confrères. J'espère que nous serons Là-bas dans les mêmes conditions qu'ici, et que nous pourrons célébrer les offices, dire la messe et continuer notre apostolat auprès (le nos camarades qui s'attachent de plus en plus à nous. Nous sommes munis de lettres de recommandation auprès du clergé de Zwichaù...
Ici on prie toujours. De temps en temps, un arc-en-ciel apparaît au dessus de nos têtes et nous apporte quelque lueur d'espérance. - Mes deux amis :
Quentardo, Dérentra vous envoient leur meilleur souvenir.
Quentardo= qu'il me tare
dérentra = de rentrer
Du 12 novembre 1914 suivante qu'on ne lira pas sans émotion :
On s'habitue au « rata et à la vie des « camps ». Marches, contre-Marches, étapes forcées, vie au grand air, fatigues, coucher sur la paille ou à la « belle étoile » uniquement abrités par la grande tente du ciel : tout cela, le troupier quel qu'il soit, à quelque arme qu'il appartienne, le connaît en campagne. Jusqu'ici Mouzon, Vouziers, Challeronges, Suippes, Chatons, ont été les grands centres ou nous avons soigné, jour et nuit, des milliers de blessés. A Châlons, l'élément « Boche » a toujours dominé. Actuellement nous suivons la colossale armée du Nord. Quel service consolant ne fait-on pas auprès de ces chers blesses ou agonisants ou morts !... Après avoir pansé les plaies du corps, on panse celles de l’âme; on ferme à jamais des yeux dont le dernier regard allait cependant à cette mère, à cette femme, à ces petits chérubins de cette région lointaine qu'on appelle « le pays".
Puis, sur le champ de bataille, quand brancardiers et hommes du génie n'y suffisent pas, quand, par mégarde, ils ont oublié quelques cadavres, il faut se faire fossoyeurs ; on plante une croix façonnée à la hâte; on récite une suprême prière ; un chapelet trouvé dans quelque poche de mort est attache aux bras de la croix et on part, le cœur gros et les yeux humides de larmes. Comme témoins de cette besogne, quelques rares camarades ; comme officiant, un prêtre en capote; comme encensements, les spirales de fumée d'obus éclatés, tout près, qui montent lentement vers le ciel.
Matin et soir, jour et nuit, le canon gronde dans un bruit d'enfer. Quel tonnerre assourdissant que celui occasionné par des centaines de canons de tout calibre crachant ensemble, de toutes les crêtes, une mitraille meurtrière sur cet « océan d'hommes » qui s'appelle
un front d'armée ! Et la fusillade des tranchées ! Et les mitrailleuses'. Et les autos blindées mitrailleuses ! Feu partout, feu de partout : feu dans la terre (mines, explosifs, mélinite); feu sur la terre, (feu des tranchées, des coteaux ; bois, fermes, villages incendiés ; (feu dans le ciel, (tir aux aéroplanes qui nous arrosent de leurs bombes)... Puis, le grondement et son appareil sinistre se déplacent; c'est le silence relatif; c'est le cimetière; des bandes de corbeaux arrivent pour la curée. Que c'est triste, la guerre !
Le service ales blessés se fait d'une façon admirable. Rares sont ceux, je crois, qui partent sans absolution. Sur le front du combat, ils ont l'absolution, sinon individuelle, du moins globale des prêtres combattants. Hélas ! Combien de tués ! Puis, ce sont les prêtres brancardiers qui les ramassent sur le champ de bataille; l'absolution se donne fréquemment, au coin d’un bois, sous un repli ale terrain. Il v a des prêtres dans les ambulances des postes de secours ; puis les automobiles ambulances les passent aux ambulances du 1er ou du 2° échelon où d'évacuation. Là, encore des prêtres, porteurs de grâces célestes On confie ces chers enfants aux prêtres des divers trains sanitaires. qui les passent à leurs confrères des divers hôpitaux de province. La grâce de Dieu est toujours à la portée de nos chers blessés et ils l'acceptent avec bonheur...
Nous avons pu célébrer ici les offices du Rosaire. Hier (Jour de la Toussaint), dans notre détachement : ambulanciers, artilleurs, génie, chasseurs, remonte mobile et tringlots », environ 450.hommes ont communié. Que c'est beau ! Il est vrai que nous sommes au milieu de Bretons. Vendéens et Nantais...
J'écrirai souvent. Si donc pendant de longs jours, vous n'avez rien reçu de moi, c'est que la poste, ou plutôt le service; militaire postal sera cause de ce retard ; ou bien, c'est que j'aurai été l'ait prisonnier (la 2° ambulance du 11° corps, prisonnière en Belgique, fut relâchée un mois plus tard ; elle nous revenait il n'y a pas longtemps) ;ou bien, et ce sera plutôt ceci, c'est que, comme mes ainés, je serai couché là-bas, bien loin, après avoir essayé de faire mon devoir, attendant le réconfort et l'aumône d'un - de profundis ".. .
Pierre-Eugène R...
Un aperçu du front, n’oublions pas que le courrier était censuré.
Du 19 novembre 1914
- D'autres, ont la touchante expression d'un souvenir toujours fidèle, ajoutent des détails pleins d'intérêt sur leur genre de vie, les consolations de leur ministère, les lieux qui sont le théâtre de leurs exploits ou de leur.repos momentané .
Voici qui vient du littoral de la mer du Nord
-" Je sais actuellement eu Belgique où les hasards de la guerre m'ont ramené pour la seconde fois. J'espère bien ne pas en sortir, comme la première fois. en battant en retraite. Les routes sont mieux gardées et les batteries de tout calibre auxquelles les boches se heurtent chaque jour leur prouvent que la France est plus forte qu'ils ne l'avaient pensé. Nos troupes, merveilleusement entraînées, font de véritables prodiges; l'artillerie est terrible ; nous avançons lentement, mais à coup sûr; les pertes de notre côté soit bien moindres qu'au début de la campagne.. ..
Notre ambulance• qui fonctionne peu depuis plusieurs jours, a vu passer depuis le début de la guerre plus de 1700 blessés, dont; beaucoup, du reste, n'avaient: que des blessures légères .. Le ravitaillement se fait de façon admirable et pour touts dire en abondance
Nous sommes ici dans un pays foncièrement chrétien, preux même et très prospère. La population est très sympathique à notre égard; elle fait preuve d'un calme extraordinaire, malgré la proximité du champ de bataille... »
La lettre continue avec des notes plus religieuses dans les quelles l’auteur dit qu’il est rare que des blessés refusent l’absolution.
- M. l'abbé Ruffié, capitaine à la 17° Cie du 209°, regrette d'avoir été envoyé de bonne heure le 11 novembre en 1re ligne en face des Allemands, ce qui l'a privé de la joie de célébrer la sainte messe pour son Évêque. Il vit alternativement dans et sur la terre.
« Depuis deux mois que nous sommes dans la même région, nous faisons des tranchées profondes pour abriter les lignes de tirailleurs. En avant des tranchées nous établissons des réseaux de fils de fer. En arrière, nous construisons des cabanes pour nous abriter le plus confortablement possible. Chacun s'ingénie pour utiliser ce qui lui tombe sous la main. La cabane ou je me trouve en ce moment est en partie creusée, en partie construite avec des mottes de terre, car on ne trouve ni pierres, ni briques. Les bois de pins nous fournissent de solides charpentes et du combustible. La cheminée et le foyer ont la face intérieure garnie d'étuis d'obus. Quelques planches sont une bonne fortune ; car en peu de temps elles sont transformées en tables, tabourets, étagères. Pour le service de surveillance et de défense nous alternons successivement dans les diverses lignes avec d'autres régiments... »
Dans une lettre précédente, il résumait ainsi l'histoire de sa compagnie et la sienne depuis le début de la guerre
Pendant le mois d'août et le mois de septembre nous avons fait campagne d'une façon très active dans le Nord-est de la France et même en Belgique. Ma compagnie resta à peu près intacte sous la mitraille et les balles pendant un mois et demi, mais les 17 et 26 septembre elle subit de grosses pertes sous le feu de l'artillerie et l'attaqué de l'infanterie. Le Bon Dieu m'a conservé sain et sauf jusqu'à présent. Mon capitaine étant mort de ses blessures le 26 septembre, je fus nommé capitaine pour la durée de la guerre à la date du 29 septembre.
Au début de la guerre les deux adversaires ont fait la course vers la mer du nord pour essayer de prendre l’ennemie à revers puis la guerre de mouvement s’est transformée en guerre de tranchée ;
L’évacuation des blessés - Du 11mars 1915
Un de nos prêtres-brancardier de la Marne nous écrie le 24 février :
« Grâce à Dieu, ma robuste santé a eu raison jusqu'ici de tout. Si la campagne finissait bientôt, mes paroissiens ne me trouveraient pas trop amaigri, ni trop vieilli. Pourtant ni les épreuves, ni les émotions ne nous font défaut. Le mardi gras et le mercredi des cendres je me trouvais de service à un poste de secours, situé au pied du fort de J... à trois kilomètres du front. Les deux nuits que J'ai passées à ce poste, Morphée ne m'a pas trop favorisé. Le premier soir il fallut partir à 10 heures, à la recherche d'un blessé sur la route d'A..., Le second soir à la même heure, un coup de téléphone nous annonçait qu'il fallait aller chercher quatre blessés aux tranchées de 1re ligne sur la route de.. Nous arrivons, sans incident, au poste du commandant où nous attendaient les pauvres blessés. Nous nous trouvions, a ce moment-la à 400mètres seulement des tranchées allemandes De temps en temps. à peu pris toutes les minutes, « une fusée éclairante » telle une étoile filante, s'élevait dans l'obscurité de la nuit, pour retomber en une grosse gerbe de lumière sur l'emplacement des tranchées, afin d'éclairer le feu de l'artillerie. Le retour fut des plus mouvementés. A peine avions-nous fait quelques pas sur la route avec la voiture d'ambulance où nous avions installé nos blessés, qu'un sifflement se fait entendre au-dessus de nos tètes. C'était un 77, pour parler le langage des « poilus », qui venait de passer, laissant après lui une longue traînée de feu. II alla éclater dans les bois à 500 mètres de la route. Malgré toutes les précautions que nous avions prises. (Nous faisions marquer le pas à nos chevaux), les Boches avaient entendu le bruit que faisait la voiture et avaient dirigé leur tir dans notre direction. Nous entendons un nouveau sifflement suivi presque immédiatement d'un bruit sec occasionné par l'explosion. C'était un autre obus qui venait de passer, mais celui-ci vint éclater à 100 mètres de nous. Un troisième obus rasa les oreilles des chevaux qui firent un saut énorme et faillirent tout briser ; effrayées, les pauvres bêtes hésitèrent un moment à marcher. Ce n'était pas le moment de tergiverser, ni de s'embarrasser de scrupules. Un nerveux coup de fouet, un formidable hu ! de mon cocher, et nous voilà partis au grand galop, brûlant toutes les consignes. (Il est expressément défendu par les règlements militaires de faire trotter les chevaux sur les routes pendant la nuit). Les obus pleuvaient drus de chaque côté de la route et nous poursuivirent sur un parcours de deux kilomètres. A certains moments des mottes de terre, et du gravier.soulevés par les explosions des projectiles, arrivaient jusqu'à la voiture. Enfin nous pûmes franchir cette zone dangereuse sans être atteints. La Sainte-Vierge à qui je m'étais confié pendant cette périlleuse excursion nous a visiblement protégés. Nous sommes arrivés à M..., à 4 heures du matin. Vous voyez qu'on court de temps à autre quelque danger….
Lettre sur l’acheminement des blessés.
Après les sédentaires, voici les « voyageurs », qui accompagnent les blessés dans les trains sanitaires. Ces voyages, qui ne sont pas d'agrément, ne manquent pas d'attrait : « Nous avons eu l'occasion de voir Nice, Toulon, Valence, Montélimar, et pour la seconde fois nous revoyons Marseille. ), Il y a un autre attrait: la charité et la reconnaissance qu'elle inspire
« En quittant ces petits blessés, que l'on a gâtés en cours de route, on voit dans leurs yeux et on sent dans leur serrement de main tant de gratitude qu'on se trouve largement payé des fatigues du voyage.
Les 8/10 des blessés sont au bout de quinze jours à même de rejoindre leurs régiments. Ce que nos soldats redoutent le plus, ce sont les mitrailleuses allemandes et les obus de gros calibre. Nous avons pu recueillir à côté de la maison de Ml. Poincaré des éclats d'obus d'un poids énorme.
Nous sommes dans notre train 5 prêtres, dont 4 ariégeois. » J. C.
Voici des notes, savoureuses, d'un de nos prêtres-soldats attaché à un train sanitaire
« Vous me demandez : « Que faites-vous, lorsque, entre deux voyages, votre train se trouve « garé » et que vous êtes au repos ? »
Je pourrais vous répondre par les mots de l'office "inlabore requies" : Nous nous reposons et nous attendons, parfois patiemment, parfois avec une légitime impatience, l'ordre pour un nouveau départ ; mais en attendant, nous savons nous occuper utilement. Pour moi, je fais joyeusement la corvée quand c'est mon tour et je demeure persuadé que rien n'est petit, ni vulgaire, ni vil, quand on le fait pour l'amour de Dieu. Quand je suis « libre », après avoir fait la vaisselle et le plumard, rangé la « ferblanterie " mis dans le wagon un ordre relatif, je partage mon temps entre le bréviaire et le sermon, sans préjudice de la promenade « hygiénique », s'il n'y a pas trop de boue dans les chemins ni dans les champs. Mais la plus grande partie de la journée, je la passe dans mon wagon et je ne m'y ennuie pas : Cella continuata dulcescit».
Pourtant, quelle « cellule » ! Une « roulotte » construite en planches très mal jointes, qui laissent passer, 1 certaines heures, un vent de tous les diables. Elle est occupée aux trois-quarts par neuf brancards superposés en trois étages, rez-de-chaussée compris. Le dernier quart renferme le poêlé, la caisse à pansement, un petit « baricaut » que l'on remplit à chaque voyage, des briquettes que l'on a « chinées », une table pour dîner, fabriquée tant bien que mal, et, tout sa fait dans la cour, derrière une boite en fer blanc, l'inévitable « pistolet ». A la cloison qui touche le poêle est ajustée une étagère, également de ma fabrication, sur laquelle vous verriez un vrai bazar : boite d'allumettes, encrier, pipe.. . de mon auxiliaire, jeu de cartes... pour les amis, sel, poivre, trousse, bougeoir, plumeau, pot (le graisse, fiole à « rikiki» - lorsqu'on en donne... etc. Enfin, sous l'étagère, une vingtaine de clous, où pend toute une « ferblanterie » de casseroles, de tasses, de passoires, sans compter le gril et le poêlon ; bref une vraie « batterie » ... de cuisine. Ajoutez, d'un bout à l'autre du wagon, entre les montants qui soutiennent les brancards, un espace libre de 5 centimètres et vous aurez une idée à peu près exacte de ma « cambuse » qui devient tour à tour, salle à manger, salon de réception, salon de coiffure, quelquefois salle... de jeu, dortoir, église provisoire où, pendant les voyages, nous évangélisons nos « paroissiens » de trois jours.
C’est là au milieu de ce « fourbi » que je récite mon office. » ….
Du 20 mai 1915 - Lettre d'un prisonnier de guerre à ses parents
Mes chers parents
Je vous écris cette lettre en cachette. Je vais vous dire ce qui se passe au camp. D'abord, au sujet de la nourriture surtout depuis quelque temps nous mangeons des pommes de terre. Celles que vous donnez aux cochons sont plus nettoyées. Puis des betteraves, du riz, des châtaignes, de l'orge, de l'avoine, toujours des plats de ce genre. Nous avions une cantine où nous pouvions acheter du pain ; mais qui n'est que du pain contenant une petite quantité de seigle et le reste de la fécule de pommes de terre : mais ce pain depuis quelques jours nous a été supprimé, on ne nous en donne qu'une portion tout à fait minime. La cantine continue à vendre d'autres denrées :tartines de beurre, fromage, miel et confitures, chocolat. Nous avons toujours à notre disposition du bon vin blanc clairet. Donc a ce sujet, vous pourrez, si vous voulez, m'envoyer de temps en temps un peu de pain clans un paquet, une demi marque. Ici, nous l'avons su, les gens en ville n'ont plus que 2 kilos de pain par semaine et par personne. Donc vous voyez que ce n'est pas étonnant, s'il s'en mangeait beaucoup dans le camp ! Nous sommes 15.ooo, Français, Russes et anglais. J'oubliais de vous dire que ce que je trouve le plus à mon goût, c'est le lait chaud qu'on vend à la cantine à 7 sous le litre. Comme logement nous sommes dans des baraquements en bois assez bien conditionnés mais qui sont parfois un peu humides. Nous couchons sur la dure, sur de la fibre de bois. Je n'ai pas trop souffert du froid, j'étais assez bien habillé. Je vous dirai aussi que maltraités nous ne le sommes pas. On nous fait travailler de temps en temps à aménager le camp. Nous manions la pelle et la pioche, c'est le cas de le dire, pour le roi de Prusse. Enfin, je ne vous en dis pas plus long, vous voyez à peu près quelle est la situation d'un prisonnier de guerre dans notre camp. Ne vous inquiétez pas, je suis entièrement guéri. Tout ce que vous m'envoyez, argent, linge et provisions, je le reçois en bon état. Je vous dirai enfin qu'ici, je vais tous les jours à la chasse et fais toujours des victimes mais c'est la chasse aux.... parasites. On a beau se tenir propre, rien n’y fait. C'est une véritable invasion.
Votre fils à qui il tarde de vous revoir.
Lettre d’un blessé - Du18 mars 1915
Voici la lettre que nous avons dernièrement annoncée et dans laquelle un caporal-clairon du 591, François Carbonne, de Saurat, rend compte à son curé du combat où il a été blessé et cité à l'ordre du jour. Ces lignes, dans leur spontanéité sans apprêt, où éclate et se révèle comme à nu la vivacité des sentiments chrétiens et patriotiques, montre bien l'état d'âme de nos braves troupiers ariégeois
Rochefort-s-Mer, 16 février 1915. Monsieur le Curé,
C'est avec un grand plaisir que je viens vous raconter comment j'ai été blessé et comment les enfants de Saurat savent défendre la France.
Le 2 février, j'étais dans les tranchées de Perthes-Ics-Hurlus,au nord de la ferme de Beauséjour. Il faisait mauvais temps. Depuis quelques jours l'artillerie échangeait avec celle d'en face quelques marmites ; mais ce jour-là ç'a été plus terrible. Notre génie avait longtemps travaillé à creuser une sape pour faire sauter la tranchée Boche qui se trouvait à 5o mètres en avant de nous. Ce travail a été fini le 2 février, à 2 heures de l'agrès midi. Tout allait bien.
Les Boches préparent une attaque. L'artillerie commence à nous cribler de mitraille ; nos canons à leur tour répondent et voilà la bataille qui commence. Bientôt çà va être notre tour ; je me prépare en disant le chapelet et offrant mon âme à Dieu. Quelques minutes. Le chef de bataillon donne des ordres pour monter à l'assaut. Les commandants de compagnie, à leur tour, nous encouragent et nous disent : « Tenez vous prêts ! »
L'heure arrivée, la mine saute et voilà plus de 120 Boches qui sont en l'air. La 11° et la 12° compagnie du 59° attaquent et le deuxième bataillon monte à l'assaut. Les Allemands s'en sont méfiés et ont repéré les tranchées ; les obus nous tombent devant, derrière, de tous les côtés. Mais nos terribles Rimailhos, sans oublier le 75, réduisent bientôt l'artillerie ennemie au silence.
Nous avançons, les clairons sonnent la charge-à peine j'avais fait quelques mètres, je me sens blessé au bras droit; mais je veux pas démoraliser mes camarades ; j'avance toujours, lorsque, quelques mètres plus loin, un obus éclate devant moi et je reçois deux éclats à la cuisse. Je tombe évanoui. Mais quand même j'étais content, quand j'ai appris que la tranchée ennemie était à nous en infligeant de grosses pertes aux Boches. Nous avons eu de notre côté quelques blessés et quelques victimes, mais très peu. Comme j'étais encore couché dans la tranchée le Commandant me voit et vient nie consoler en disant : « Mon ami, courage, tu seras récompensé ». J'ai été cité à l'ordre du jour et envoyé à l'Hôpital, où je me trouve en ce moment. Je pense être bientôt rétabli pour aller rejoindre mes camarades dans les tranchées.
Je suis bien soigné par les Sœurs de Charité qui se dévouent beaucoup, vous le savez, pour soigner les blessés. Je pense, M. le Curé, que vous verrez grand père Augustin et vous lui donnerez le bonjour de ma part.
Fin de citation
François Carbonne, Caporal-Clairon
PJM