Ariège Pyrénées - La Commune de Vèbre à ses enfants morts pour la France
Guerre 1914 – 1918
Aux Enfants de Vèbre morts pour la France RAUZY, Jean Baptiste, écrit en 1932
"Certains qui me liront trouveront que ma prose et mes vers ne sont pas d'une régularité parfaite. Je demande l'indulgence, car je ne suis pas un lettré, mais simplement un paysan élevé à la dure école, qui ne fait que labourer ses champs et faucher ses prés. J'ai fait de mon mieux, en y mettant tout mon cœur et toute mon âme.
Je m'excuse d'être contraint de parler de moi.
Avant de donner les noms des Morts de la Grande Guerre de la commune de Vèbre et faire l'historique des événements qui s'y sont déroulés pendant plus de quatre ans, je vais d'abord parler en raccourci de ma propre campagne, non par gloriole ni vantardise mais pour montrer que ce que je vais énumérer et absolument véridique, puisque j'ai vécu moi-même ces misères et ces souffrances pendant 4 ans dans les nuits froides d'hiver, dans la boue des tranchées, sous les rafales d'obus et de mitrailleuses, couverts bien souvent de vermines (poux et puces).
Je n'ai pas fait plus que les autres et n'ai pas fait moins que les autres. J'ai simplement fait mon devoir.
Je suis de la classe 18/94. J'avais 40 ans à la mobilisation et appartenais à la réserve territoriale.
On me rappelle le 3° jour, c'est-à-dire le 4 août, comme instructeur au dépôt de Foix, pour faire l'instruction des soldats qui affluaient sas discontinuer. Ma classe n'arrive que 3 mois après. J'ai passé 8 mois là dans divers camps d'instruction de Si Girons, Casteljaloux et St Antonin (Tarn et Garonne).
Au mois de mars, départ pour le front avec un détachement du 8° de ligne à Agen.
Arrivé dans le Pas de Calais, après 24 heures de train, suis versé au 77° Régiment d'Infanterie Alpine avec lequel j'ai assisté à l'attaque de Verdun en 1916, véritable enfer pour celui qui l'a vécu.
Versé au 25° Régiment Territorial, on est parti à la grande bataille de la Somme où on a tant souffert dans les villages pulvérisés par les obus, d'Herbercourt, Faucourt et Cappy. C'était le pays du désespoir. On logeait dans les caugnes des boches, qu'on avait fait reculer sur la paille pourrie, dans la vermine la plus complète, parmi les rats qui nous infectaient. Relevés après trois mois, on est allé tenir le secteur d'Aulen (Aisne), qui n'était pas meilleur, c'était partout la guerre. Puis après les Vosges et l'Alsace où nous sommes arrivés à Dannemarie, couvert de neige. Enfin l'Armistice est arrivé et ai été démobilisé le 4 janvier 1919 à Foix, après un voyage de 4 jours et 3 nuits dans un wagon de bestiaux. Rentré à Vèbre le jour même.
RAUZY, Jean Baptiste
Préface
II n’était certainement pas utile d’écrire pour la génération qui a subi les horreurs de la guerre 1914-1918 et surtout pour ceux qui l’ont faite, les quelques pages qui suivent.
Aussi bien n’est-ce pas le but que je me suis proposé.
Si le souvenir précis des événements tragiques qui se sont déroulés de 1914-1918, marque d’un trait indélébile la vie des Anciens Combattants et des familles éprouvées,
Il n’en sera pas de même pour les générations qui viennent.
Pour elles, cette guerre sera quelque chose de légendaire, une lutte formidable dont elles entendront parler sous diverses interprétations qui leur en donneront une idée plus ou moins vagues, jetteront la confusion dans leur esprit. Sans doute, mon humble prose ne peut changer grand-chose à cela. Elle n’a été écrite que pour la grande famille que compose notre village, pour entretenir plus vivant parmi nous le souvenir de nos Grands Morts. Elle est locale. Des plumes plus autorisées que la mienne y auraient trouvées la matière d’un développement facile. Je m’excuse de n’avoir pu faire mieux. J’ai mis toute mon âme. Je fais appel à l’indulgence.
Peut-être plus tard, lorsque nos petits-fils, nos arrières petits fils, liront sur la plaque de marbre de notre église les noms de ceux que nous pleurons, alors que nous ne serons plus là pour leur dire qui ils étaient, comment ils ont vécu et comment ils sont morts, peut-être dis-je trouveront-ils dans ces pages certains éléments qui pourront fixer leur pensée. Peut-être y trouveront-ils aussi un peu de cette matière qui leur inspirera l’horreur et la haine de la guerre et fera d’eux des soldats de la paix.
S’il en était ainsi, combien ne serait pas inutile le sacrifice de nos Morts, combien ne serait pas inutile le sang qu’ils ont généreusement versé sur la terre de France; combien serait douce, à tous ceux qui l’ont subie, la souffrance endurée pour que cette guerre soit la dernière et uniquement pour cela, avant de clore cette préface, je veux m’incliner bien bas devant la mémoire de toutes victimes de la guerre.
Nous garderons jalousement intact au fond de nos cœurs, le souvenir des enfants de Vèbre, pour que le temps ne puisse l’altérer. Nous y penserons souvent et notre hymne montera vers eux, dans cette riante et belle vallée, berceau de leur enfance où les ombres planeront éternellement.
A toux ceux qui ont été frappés dans leurs plus chère affections, aux mères, aux enfants, aux épouses, qui ont perdus leur soutien, j’adresse l’expression émue de la sympathie de la population dont je pense être « l’interprète » unanime.
Aux Enfants de Vèbre morts pour la France
"Ceux qui pieusement sont morts pour la Patrie, Ont droit qu'à leur tombeau, la foule vienne et prie"
1914 – 1918
Pierre GENDREU- 25 août 1914
Léon CANAL - 23 septembre 1914
Jean GENDREU - 23 septembre 1914 (disparu)
Joseph COSTESSEQUE - 2 janvier 1915
Jean BONNEL - 13 mai 1915
Paul MATHE - 23 septembre 1915
Marius DERRAMOND - 4 octobre 1915
Mathieu RAUZY - 27 février 1916 (disparu)
Henri MARCAILLOU - 11 décembre 1916
Louis ESTEBE - 30 octobre 1917
Barthélemy BONNET - 5 juin 1918
Jean ALZIEU - 7 septembre 1918
Jean CHRETIEN - 7 septembre 1918
Dunac Emile qui figure sur le monument aux morts, n’est pas dans le présent recueil, il n’était pas né au village de Vèbre (marié à une fille de Vèbre)
Plus bas encore, ces autres mots :
La Commune de Vèbre à ses enfants morts pour la France.
Tels sont les inscriptions gravées sur la plaque de marbre surmontée d'une croix. Elle est placée dans la modeste église de Vèbre et rien ne pourra souiller les noms, ni les intempéries les altérer. C'est dans cette même église, qu'ils sont venus après leur naissance, portés par leur parrain et marraine aux fonds baptismaux. C'est là aussi qu'ils sont venus sur les bancs du catéchisme et fait leur première communion. Quant aux plus anciens, c'est là encore où a été célébré leur mariage et laissent maintenant après eux une veuve éplorée, qui en rentrant dans cette église, montre, les larmes aux yeux, à ses petits orphelins le nom de leur père au champ d'honneur, inscrit sur cette plaque. Que le destin est cruel pour eux.
Nulle fleur ne l'entoure, que celles que les enfants du village y apportent les jours du souvenir. Génération de demain, vous continuerez la tradition de vos aînés
Et si ce même jour, qui aura fait éclore ses fleurs que vos mains pieuses auront cueillies, s'acharne à les anéantir, vous songerez que dans leur existence éphémère, elles feront revivre tout un passé revêtu de sa parure, enveloppée de leur parfum. Cette plaque ravivera vos sentiments. Elle vous apprendra surtout à maudire la guerre des vies humaines, aussi belles, plus belle encore que les fleurs déposées par vous en hommage au pied de cette plaque.
Passant connu ou inconnu, suspend un instant ta course, interromps ta marche, entre dans cette église, pour contempler cette plaque. Elle est plus qu'un symbole, plus qu'un souvenir. Elle est le témoin de la plus effroyable des catastrophes qui ait jamais frappé l'humanité. Aux générations qui viendront, elle rappellera qu'elles n'ont pas le droit d'oublier.
Défiant l'assaut des temps, elle dira à travers les siècles, jusqu'où est allé le sacrifice de ceux qu'on a immolés sur l'autel de la Patrie. A tous elle semblera poser cette question : Pourquoi cela ? Inexorable, elle sera là pour crier avec treize, que dis-je, avec plusieurs millions de voix d'outre-tombe : "Déshonorons la guerre".
Puisqu'elle a été inévitable cette guerre que nous avons subie, inclinons nous bien bas vers toutes ces victimes amies ou ennemies, car pour nous sur la terre, il n'y a que des hommes qui sont faits pour s'aimer et non s'entretuer. Les treize noms inscrits sur ce marbre, les confondent tous dans un pieux souvenir, nous arrachant un cri plaintif et calculateur, dans un geste de mépris pour les tyrans qui l'ont déchaînées. Leur œuvre est là, faite de mort, de ruine, de désespoir immense et irréparable. La commune de Vèbre reconnaissante a voulu perpétuer la mémoire de ses enfants qui partirent un jour pour la défense de la Patrie menacée, mais, qui hélas ne sont pas point revenus. En vain leur père, leur mère, leur femme, leurs enfants, ont-ils attendu leur retour. En vain leurs camarades de combat, compagnons de misère et d'infortune, épargnés par le destin, ont-ils fait appel en rentrant au village natal. A cette attente, à cet appel, ils n'ont point répondu. Une autre voix répondait pour eux : "Morts pour la France".
Oh vérité affreuse, comment tu t'es alors révélée à nos yeux, à quelle triste réalité tu nous as rappelée:
3 août 1914. Date fatidique, qui fut le commencement de la plus grande tuerie de tous les temps et qui pendant plus de quatre ans, dressa les peuples les uns contre les autres. Pendant plus de quatre ans sur les champs de bataille d'Europe, plusieurs dizaines de millions d'hommes s'affrontèrent dans une haine implacable, pour se détruire mutuellement, à l'aide d'engins à l'aide d'engins de guerre les plus perfectionnés, mis par la science moderne à leur disposition - qui nous dira la quantité innombrable de feu et de fer lancée dans l'espace par les bombes de tous calibres, depuis la balle de fusil jusqu'aux obus de 430 et même ceux de la grosse bertha qui a une distance de plus de 100 kilomètres, sema plusieurs fois la terreur et fit des victimes dans Paris. Qui nous dira la somme de douleurs, de souffrances, de larmes, que cette mitraille a versées sur la terre, sur l'onde où les sous-marins et les mines faisaient sauter les navires, dans le ciel où les avions se livraient des combats, sans compter les ruines et la désolation des nombreux champs de bataille, la mutilation du sol sur lequel se jouait la grande tragédie, la dévastation des villes, des villages qui en subissaient les horreurs en un mot tout ce que nous pourrions appeler en termes militaires « le théâtre des opérations ».
Pour atteindre ce résultat, les nations prises de démence, jetèrent dans la fournaise, jusqu'à leur dernier home et leur dernier centime. Si non toutes celles qui tiennent les premiers rôles, -une main mystérieuse, invisible et cependant toute puissante semblait les tenir dans un jeu infernal.
Mais, tout à une fin. Le 11 novembre 1918 vint clore la grande hécatombe où un million cinquante mille français avaient trouvé la mort, laissant derrière eux la cohorte non moins nombreuse et combien douloureuse, de leurs frères de combat mutilés, leurs vieux parents, leurs épouses et leurs enfants en pleurs, la France ruinée. Même tableau pour les autres nations du continent européen depuis ses limites occidentales jusqu'au seuil des pays d'Orient.- Et par cela des mers, l'Amérique avait aussi jeté son épée dans la balance, le sang de ses enfants avait coulé sur la terre de France. Peuple, voilà votre œuvre, jugez-la et jugez vos tyrans. O ! Sainte liberté que nous aimons on a dit que c'est pour toi, pour te défendre et te sauvegarder que nous avons combattu. Mais une rançon si lourde était-elle nécessaire ? Voulais tu boire tant de sang et exiger tant de sacrifices ? L'insulte serait trop grande, O ! Justice vous ne vouliez pas cela. La tyrannie s'est servie de vous pour exalter les peuples, en faire son instrument.
Nous, anciens combattants, qui avons été les témoins, souvent les victimes de ces affreux spectacles, pleurons en silence, pleurons en songeant aux misères, aux meurtres, au sang que nous avons vu couler, des blessures béantes, ce sang si généreux qui a arrosé notre terre de France.
Tantôt c'était un père de famille aux cheveux grisonnants, tantôt c'était un enfant n'ayant pas encore vingt ans, poilu imberbe. Ils tombaient simplement. Pendant de lentes et douloureuses agonies, pas une plainte ne sortait de leur bouche. Et leurs lèvres s'entrouvraient pour articuler un dernier cri, lentement ils disaient « Maman, Maman ». Que ceux qui n'ont point vécu ces heures, ces journées, ces années tragiques, frémissent d'horreur et unissent leurs voix aux nôtres et à celles de nos Morts pour dire bien haut leur volonté inébranlable de ne plus permettre à l'avenir le déchaînement d'une semblable catastrophes. Alors seulement sera comblé le dernier vœu de ceux qui sont tombés là-bas un peu partout sur la terre et dans l'onde, dans le froid, dans la neige, dans la boue, sous un vent glacial ou un soleil brûlant les uns aux lueurs de leur dernière aurore, les autres en plein midi, les autres le soir au clair de lune. On mourrait à toute heure, on savait mourir et le jour et la nuit.
Après avoir brièvement dressé un tableau de ce que fut la grande guerre, que l'Allemagne nous imposa avec la complicité de l'Autriche et aussi de certaines puissances occultes que nous n'aurions pas de mal à dévoiler et que nous appellerions : Finance Internationales. L'argent n'a pas de Patrie. Nous avons essayé de dresser l'historique pour nos camarades qui ont versé leur sang, donné leur vie pour leur pays et pour la civilisation.
Beaucoup d'entre eux seraient encore en vie sans les grands malfaiteurs abritées derrière le mur de l'argent. Nous avons en effet de fortes raisons de croire, que la guerre aurait pris fin dans le courant de l'année 1915, fort probablement avant la soudure de la récolte, si un blocus sévère, et possible, avait isolé les empires centraux du reste de l'humanité.
Les matières premières pour la fabrication du matériel de guerre et surtout des munitions, devaient fatalement leur manquer, de même que les denrées alimentaires et les contraindre à demander la paix. Nos ennemis avaient prévu une guerre foudroyante Et courte ils avaient mis dès la première heure, tous leurs moyens en action. Mais ils n'avaient pas constitué des stocks suffisants pour une guerre qui devait durer plusieurs années.
Il y avait déjà beaucoup de mal qui était fait en 1915, beaucoup de sang qui avait coulé, beaucoup de ruines et de misères qui s'étaient accumulées. Cela aurait du suffire. Mais les hommes louches aux multiples et diaboliques combinaisons, veillaient avec un soin jaloux pour attiser la flamme qui dévorait les peuples belligérants, pendant qu'ils ramassaient l'or à pleines mains sur les cadavres de nos morts. Pour arriver à leurs fins, tous les moyens leur étaient bons et leur force pesait de ses puissants leviers sur les décisions des gouvernements.
C'est ainsi que la marine marchande anglaise entre les mains des grands armateurs eut la licence de ravitailler l'Allemagne, pendant toute la durée de la guerre, par l'intermédiaire des pays neutres, le plus souvent, les marchandises ne touchaient pas le quai de transit et passaient docilement au navire anglais au navire allemand. C'est à travers la Hollande, le Danemark, la Norvège, la Suède, voire même la Suisse, par les voies ferrées françaises que se faisait l'odieux transit. Le chiffre des importations dans ces pays pendant les années de guerre augmenta dans des proportions invraisemblables, surtout pour le coton qui vient des Indes et qui est indispensable pour la fabrication des explosifs. Voilà tout le secret de la guerre, et pourquoi elle a duré plus de quatre ans. Les gouvernements alliés, notamment le gouvernement anglais, ne pouvaient pas ignorer ce qui se passait. Il n'est pas permis de penser quand on songe à l'organisation de leur service d'espionnage, aux moyens dont disposent en Angleterre l'Intelligence Service en France, le 3° bureau du Ministère de la Guerre. Nous laissons à chacun, le soin de conclure
Et le brave poilu dans la tranchée disait : « Nous tiendrons jusqu'au bout, on les aura » sans se douter que la main criminelle de ses frères, à l'abri loin du front ourdissait d'infernales machinations pour le poignarder dans le dos.
A l'intérieur sous le signe de l'union sacrée, une propagande savamment menée endormait l'opinion publique, la rendait incapable de toute réaction.
Ils ont tenu jusqu'au bout les braves gars, mais ils sont morts. Par ordre, par cupidité, on les a fait mourir.
Générations qui viendront demain nous remplacer, lorsque nous aurons disparu, emportant avec nous le souvenir de nos grands morts, il faut que vous sachiez qui ils étaient et comment ils ont succombé à leur poste de combat, pour que vous puissiez dégager de leur exemple les enseignements qu'ils comportent.
Laissant aux historiens le soin de transmettre à la postérité cette période de troubles, de malheurs, nous ajoutons même de folie, nous allons revivre à grands traits les jours qui en furent la préface, puis le début et enfin le grand acte.
Fin juillet 1914, un nuage de sang passa sur l'Europe. Les esprits étaient inquiets, surexcités. Les uns voulaient la guerre, les autres, voyant l'horizon s'assombrir, s’appliquaient à l'écarter. Les relations diplomatiques entre la France, l'Angleterre, la Russie d'une part l'Allemagne et l'Autriche de l'autre, furent rompues. Pour les hommes avisés, sachant que l'Allemagne armée jusqu'aux dents, ne cherchait plus qu'un prétexte pour déchaîner contre la France d'abord, une guerre qu'elle croyait foudroyante parce qu'elle y était préparée, il était facile dès lors de croire que le conflit était inévitable. La catastrophe devenait imminente, l'inquiétude gagnait les foules. L'assassinat de l'archiduc François Ferdinand d'Autriche à Sarajevo (Bosnie) le 30 juin 1914, ne fut qu'un prétexte savamment exploité par les diplomaties allemandes et autrichiennes. Mais elles savaient que la politique d'alliance dans laquelle l'Europe s'était engagée, déclencherait la guerre européenne.
Il s'agissait seulement d'allumer l'incendie que les plus furieux impérialistes voulaient, en un point, et de le faire adroitement pour sauver l'honneur aux yeux des peuples. Il s'agissait aussi de frapper fort et vite pour terrasser d'abord l'ennemi le plus dangereux qui était la France.
Il est certain cependant qu'ils n'avaient pas prévu les proportions formidables qu'allait prendre le conflit. Ils auraient voulu malgré tout le circonscrire ou tout au moins le diriger suivant le plan qu'ils avaient préparé. Ils allaient être dépassés par les événements. Des hommes profondément pacifiques dont la loyauté à la cause de la paix ne saurait être suspectée, espéraient éviter la guerre, même lorsqu'elle était inévitable. Leurs efforts furent impuissants à arrêter l'orage qui allait répandre sur l'Europe les plus grands malheurs que l'histoire des peuples ait enregistrés.
Le 30 juillet 1914, JAURES, le grand tribun, tombe sous les coups d'un fanatique pour avoir consacré toute son intelligence et tout son grand amour de l'humanité, au service de la paix qu'il croyait encore possible. Son nom « s'inscrivit, le premier du sanglant martyrologue » ( ?) qui pendant plus de quatre ans allait se dérouler. La guerre terminée, la justice des hommes qui prononça son jugement dans le délire de la victoire, acquitta son assassin. Par ordre sans doute, car la mort de JAURES avait peut-être ouvert le chemin aux puissants du moment, dont la gloire s'auréolait de sang. Ainsi l'opprobre sur la mémoire du grand homme, mettant au défi la conscience des honnêtes gens. Mais qu'importait cela.
Puis vint cet après-midi du 1° août. Tout à coup retentit l'appel de la mobilisation, qui appelait sur la frontière les enfants de la France. A cet appel, lancé au son des cloches dont beaucoup dans l'Est et le Nord tintèrent pour la dernière fois, combien de larmes coulèrent, larmes des mères, des épouses, des enfants auxquels on prenait celui que nul auprès d'eux ne pouvait remplacer.
L'Allemagne et la Russie avaient mobilisés avant nous. Ainsi on était fait, l'irréparable était accompli. Notons en passant l'ordre parfait avec lequel la mobilisation générale s'accomplit, sans à coups, sans fausses manœuvres.
Nous estimons pour notre part que ce succès, si faire la guerre est un succès, est dû à l'enthousiasme du début, porte chez chaque individu au maximum des capacités humaines, chacun tint pour un devoir sacré de bien remplir le rôle qui lui était assigné, même ceux qui n'étaient que tristement résignés. Pas de défections, même là où elles étaient relativement faciles.
Ces sentiments, la fraternité qui régnait parmi les troupes combattantes, se prolongèrent jusqu'à la fin. C'est là qu'il faut en chercher le facteur principal de la victoire, plus que dans la valeur des chefs qui présidaient à nos destinées guerrières depuis leur grand quartier général. La science des meilleurs capitaines est vouée à l'échec si elle se heurte dans son exécution à l'inertie ou à la valeur médiocre des troupes. Mais la valeur des troupes peut compenser l'insuffisance réparer l'erreur ou la faute d'un chef. Si nous avons eu de grands généraux, nous avons eu des soldats admirables, sublimes. Pour citer un exemple qui est tout près de nous, nous venons rappeler ici l'aspect de notre vieille cité ariégeoise aux premiers jours de la mobilisation. Celui qui l'a vu, qui fut acteur ou spectateur de la lugubre tragédie, ne y songer sans une profonde émotion. Dans Foix se trouvaient alors réunis 16 000 hommes, tous les enfants de l'Ariège capables de porter les armes, de faire un soldat. Les vieilles tours, dernier vestige de l'ancien régime, qui ont vu passer tant de malheurs, qui ont étouffé tant de plaintes, où se sont éteintes tant de souffrances, contemplant ce spectacle, nous eussent dit toute leur tristesse et toute leur douleur, si elles avaient parlé.
Entre le 7 et le 14 août, étant encore à Foix, j'ai vu embarqué le 59°, le 259° Régiments d'Infanterie et la 134° Territorial. Ils défilèrent, ces soldats, vers la gare, la tête haute, le sac au dos, le fusil sur l'épaule, ployant sous leur équipement très lourd. Ils partaient, ces braves gars, pour aller défendre leur pays. Mon cœur se brisait en attendant mon tour de partir, en songeant que demain la mort allait faucher leurs rangs, anéantir avec eux cette force, cette jeunesse qui épanouissait leur visage rosés et qui les faisait si beaux ces enfants de l'Ariège.
Des larmes coulèrent sur mes joues, mais en les voyant partir plein de courage et de vaillance, mon âme se trompe. Je me rappelais cette devise : « L'Ariège produit des hommes et de fer ». Jamais cette formule que j'avais maintes fois entendue, ne s'était mieux vérifiée à mes yeux que pendant ces journées tristement mémorables ; jamais elle n'avait été aussi vraie. Dans ma tristesse, j'en éprouvais quelque fierté, à chaque convoi, une locomotive à vapeur et une longue file de wagons à bestiau aménagés en hâte avec des bancs composaient le lourd détachement qui les emportait, dévalait la pente et franchissait le dernier défilé des montagnes ariégeoises et les cachait à leurs regards. Peu à peu le train roulant à travers l'immense plaine, les éloignait des monts pyrénéens où ils laissaient tout leur bonheur, toutes leurs affections. Bientôt tous ces gamins, l'un après l'autre, se dérobaient à leur vue. Beaucoup d'entre eux ne devaient plus les revoir. Jamais sans doute au cours des siècles, la torture morale fut infligée à un plus grand nombre d'hommes.
Comment croire en effet que ce flot humain qu'on envoyait à la mort restait insensible aux appels de son cœur. Non pas qu'il eut peur de la mort, mais parce que mourir ainsi à la force de l'âge, alors qu'ils sentait le besoin de vivre pour des êtres chéries, lui semblait un destin trop cruel. Il croyait que la vie sur terre avait un autre but. O gloire ! O ironie î Ce sacrifice était-il nécessaire au bonheur de l'humanité. Mais puisqu'il a fallu, ils sont partis. La France et la civilisation seront sauvées. Le premier jour de la guerre, nos armées prirent contact avec l'ennemi à Charleroi et furent acculées à la retraite. Notre 18° Corps d'Armée rentra en Alsace au début, mais fut bientôt obliger de reculer et nous n'en conservâmes qu'une petite partie jusqu'à la fin des hostilités.
2 Mars 1932.
Avant de terminer ce pénible récit, j'adresse à tous les morts de la Grande Guerre, quel que soit le lieu de leur naissance et celui où ils reposent l'hommage affectueux de leurs camarades anciens combattants.
O ! Chers Morts : Nous avions mangé ensemble, dans la boue des tranchées, la soupe froide apportée de l'arrière, souillée tout le long des boyaux dans le parcours pénibles, nous avions partagé le quart de vin, la goutte d'eau de vie qui nous ranimaient un peu alors que nous tombions anéantie de fatigue.
Ensemble nous subissions les bombardements, nous repoussions les attaques. Vous êtes tombés plein de santé à la fleur de votre âge. Nous vous avons fait alors, une humble sépulture et nous sommes restés près de vous, parmi vos croix de bois. Vous n'étiez pas encore tout à fait morts, lorsque nous étions là. Avec nous vous montiez la garde. Avec vous nous étions forts. Votre image s'évoquait en nous. Elle nous encourageait, nous protégeait. Puis, nous sommes rentrés dans nos foyers et vous êtes restés seuls dans la nuit froide et profonde. Seule votre ombre vient nous rejoindre ici sans notre village. Comme jadis, nous voulons qu'elle reste vivante parmi nous.
Les peuples, pour trouver un remède à leurs maux se sont assemblés à Genève au sein de la Société des Nations. Mais, ils n'ont pas encore trouvé dans cette institution, toutes les garanties de sécurité qu'ils en attendaient au lendemain de la grande tourmente. Les décisions qu'elle prend ne sont pas entièrement respectées par les gouvernements. Espérons que cette société grandira et trouvera la force nécessaire pour se développer et remplir le rôle qui lui est dévolu sur les peuples car les peuples se méfient encore les uns des autres. Mais la tâche qui se présente aux hommes de bonne volonté est considérable. Ils ne pourront la surmonter que s'ils s'appuient sur les enseignements de la guerre, s'ils pensent avec recueillement aux jours de juillet et août 1914 et au serment fit sur la tombe de nos morts au lendemain de l'Armistice pour que cette guerre soit la dernière. Tremblons à la pensée qu'une nouvelle guerre (elle serait aérienne et chimique) peut aboutir à la destruction sauvage et totale de l'homme par lui-même et de la civilisation.
GUERRE France Allemagne 1914-1918
A Guillaume II Empereur d'Allemagne, Réfugié en Hollande
C'est du beau ciel du midi de la France
Que j'écris pour toi Guillaume banni dans la Hollande
Français d'abord, ami du vrai, sans aucun titre
J'écris en ton honneur, médite cette épître
Dans laquelle en ce jour je veux te dire en vers
Qui seront par toi, j'en ai peur, compris tout de travers
Car pour éviter notre vengeance
Tu t'es réfugié dans ta chère Hollande
C'est dans cet endroit là que finira ton rêve
Et que tu resteras jusqu'au jour où ta C....meures
Qu'en France nous savons que toi seul empereur
A déchaîné la guerre et toutes ses horreurs
En agissant ainsi, tu voulais ô vampire
Elargir d'un seul coup ton si puissant empire
Tu voulais imiter notre Napoléon
Qui chez toi plus qu'ailleurs fit respecter son no
Et non content d'avoir l'Alsace et la Lorraine
Tu voulais nous voler encore nos bas de laine
Où chaque citoyen comme en un coffre-fort
Y tient jalousement cachés ses louis d'or
Tu voulais nous chasser dans le fond de l'Afrique
Et garder pour toi seul la France et la Belgique
Tu voulais grand malin, toujours bardé de fer
Exporter ta puissance et sur terre et sur mer
Tu voulais, te croyant seul assigner pour l'être
Te faire proclamer du monde le grand maître
Depuis tu as compris, heureusement pour nous
Que ton beau rêve était celui d'un fou
Car en quatre ans qu'a duré la guerre
Tu n'as nullement fais, crois le, trembler la terre
Puisque donc, toi qui te croyait si fort
N'as-tu pas essayé de passer par Belfort
C'est été, j'en conviens, pour toi plus héroïque
Mais non, tu préférais marcher sur la Belgique
Espérant trouver là, plus que partout ailleurs
Moins de difficultés, des chemins bien meilleurs
Mais les belges veillaient superbes de tenue
Te connaissant bluffeur, ils croyaient néanmoins
Que vers leur beau pays, tu ne marcherais point
Quand certain jour hélas plusieurs armées entières
Tramant de gros canons, franchirent la frontière
Le Roi Soldat ALBERT appela sur le champ
Ses hommes résolus à vendre cher leur vie
Plutôt que de laisser envahir leur Patrie
Et ces fiers défenseurs en ordre de combat
Te firent voir comment en Belgique on se bat
Cela, te surprit un peu on ose le croire
Car tu prenais plaisir les Belges pour des poires
Tu croyais simplement qu'en te voyant venir
Ils allaient au galop chapeau bas accourir
Qu'ils allaient en voyant défiler tous tes hommes
Crier trois fois « Hourra, vive, vive Guillaume »
Qu'ils allaient en un mot, hideux porte malheur,
Jeter à pleines mains, sur tes soldats, des fleurs
Mais tu ne savais donc pas que la noble Belgique
Détestait ton pays, aimait la République
Et que mise au courant de ton infect désir
Elle n'a pas voulu te faire de plaisir
Et que sans redouter la si grande puissance
Elle a voulu combattre, aidant ainsi la France
Car sans elle Kaiser, comme moi tu le sais
Tes soldats auraient eu chez nous plus de succès
Mais furieux de voir pareille résistance
Tu voulus pour bien mieux exercer ta vengeance
Sous ta botte écraser ce peuple de héros
Qui toujours noblement brava tes généraux
Sois content : les soldats, tous faits à ton image
Se sont dans ce pays conduits en vrais sauvages
Aussi méchants que toi, ces traites sans raison
Se sont bien appliqués à venger la maison
Ils n'ont rien négligé dans leur façon de faire
Liège, Anvers, Ypres, Namur
Bruxelles et Louvain où il ne reste aucun mur
Sont les endroits où tes soldats ivres de rage
Laissèrent plus qu'ailleurs trace de leur passage
Tout le mal que tu fis dans ce pays charmant
Tu l'as chez nous Kaiser fait aussi lâchement
Car ne pouvant jamais selon ton espérance
Malgré tes grands efforts t'emparer de la France
Tu juras d'exercer les pires châtiments
Sur nos personnes et sur nos monuments
Sans aucun remords, sans crainte pour ton âme
Plus cruel que Néron, toi Guillaume l'infect
Tu fis exécuter chez nous, comme là bas
Un programme qu'un vil assassin ne suit pas
Et dans beaucoup d'endroits, tes soldats sans entrailles
Se sont conduits en véritables canailles
Fusillant sans motif, pour voir couler le sang
O ! Inoffensifs gamins de paisibles p....
Certain jour et malgré prières, cris et larmes
Passaient un jeune enfant de six ans par les armes
Pour les avoir hélas, le pauvre cette fois
Mis en joue avec son petit fusil de bois
Tuant prêtres, vieillards, violant filles, femmes
Et les jetant repus dans les maisons en flammes
Coupant le poignet droit de beaucoup d'enfants mâles
Incendiant partout ses belles cathédrales
Achevant nos blessés, dévalisant nos morts
Bouchant les puits de nos belles mines du Nord
Détruisant avec plaisir avec tes gros canons
Tout ce qui dans les arts a le plus de renom
Faisant sauter avec des mines sous-marines
Tout navire marchand qui sur la mer chemine
Evitant de porter secours aux matelots
Qui tout en t'... coulent au fond des eaux
Voilà ce qu'ils ont fait par ton ordre toujours
Les ignobles soudarts à chaque instant du jour
Mais, malgré le mal qu'ici tu as fait commettre
Et les nombreux soldats que sur nous tu as pu mettre
Malgré ton vieux bon dieu, qui doit vivre en enfer
Jamais tu n'as pu venir à Paris beau Kaiser
En fait que serais-tu venu faire dans ce parage ?
Toi qui simple par goût, déteste le tapage
Car chez nous tu le sais la vie est très amère
Et connaissant tes goûts, jamais tu n'aurais pu t'y faire
Car le peuple Français auquel moi j'appartiens
N'est pas à comparer du tout avec le tien
Que tu as mené parfois à grands coups de cravache
Et que tu as souvent fait fusiller s'il se fâcha
Si tu avais fait chez nous ce que tu faisais là bas
Depuis longtemps Kaiser tu n'existerais pas
Chacun de nous et sans que personne le blâme
T'aurait sans hésiter mon vieux fait rendre l'âme
Nous opérons ainsi, nous les bâtards Français
Quand nous avons chez nous un homme que l'on hait
Mais le peuple a été trop content de ta gérance
Pour oser faire ce que nous ferions en France
II a préféré souffrir, même crever de faim
Plutôt que de vouloir sur toi poser la main
Tu dois reconnaître maintenant coûte que coûte
Que nous avons battu les mangeurs de choucroute
Et qu'ainsi nous t'avons prouvé, grand maladroit
Que la force chez nous ne prive pas le droit
Et que l'ambition quelquefois d'un seul homme
Ruine et fait sombrer le plus puissant royaume
Je m'arrête, Kaiser, il n'est que le temps je pense
Et laisse moi d'abord crier « Vive la France »
Je te dirai aussi grand criminel, que jusqu'à la fin de tes jours
Le remords de Caën te rongera toujours
Banni de ton pays et de toute l'humanité
Tu seras oublié et maudit sans pitié
Ta tombe sera aussi la fesse d'un chien qui crève
Où l'on jette par-dessus, un peu beaucoup de terre
Et lorsque un voyageur près de là passera
Avec mépris et dégoût, dessus il crachera.
RAUZY Jean Baptiste
Votre Correspondant Le Castor
Documents d'époque étayant son discours
- Lettres de "Poilus" ariégeois chargés de l'évacuation de blessés, de prisonniers de guerre et d'un soldat de Saurat hospitalisé à l'arrière.